Bienheureux les fêlés parce
qu’ils laissent passer la lumière !
Beau, intelligent, tout à fait comme
il faut, toujours bien mis, il avait
une phrase adaptée à chaque
circonstance ; jamais un mot de
travers ; jamais un éclat de voix ;
il ne montrait pas ses émotions ; un
homme lisse, imperturbable.
Et pourtant… visiblement quelque
chose n’allait pas ; après un moment
passé avec lui, il n’y avait rien à
en dire, rien à critiquer ; tout
était lisse propre ; mais comment ne
pas penser que, comme dit le
proverbe : il n’avait jamais fait de
bêtise, mais toute sa vie en était
une ?
Il faisait penser à une belle tasse
de Chine ; rangée dans un placard,
elle n’en sort que pour les grandes
occasions ; chacun la manipule avec
respect, puis la lave et la range
avec soin.
Un jour, après un geste maladroit,
la tasse s’est fêlée ; sa vie en fut
toute bouleversée ; elle a changé de
placard et son utilisation est
devenue variée et quotidienne ; son
meilleur souvenir dans sa nouvelle
vie : elle a servi de vase pour un
bouquet de violettes, restant jour
et nuit au milieu de la table où
tout le monde pouvait la voir. Elle
devenait porteuse de lumière.
Notre homme aussi a subi un accident
qui a perturbé sa vie. Du jour au
lendemain, il a eu besoin des autres
pour le moindre déplacement ; dans
un premier temps, il a vraiment
perdu la face ; mais peu à peu ses
rapports avec les autres ont changé
; il est devenu plus vulnérable,
mais tellement plus aimable ; il en
a pris conscience : maintenant,
chacun l’aimait pour lui-même.
Enfin, le courant passait avec lui ;
enfin, il laissait passer la
lumière.
Charles De Boisseson (10 Mai 2010)
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