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Le vélomoteur
Noël… Je demande un vélomoteur.
J’ai quatorze ans. Justement
l’âge où on peut monter sur un
vélomoteur. Je suis la seule
dans ma classe à avoir une
bicyclette. Toutes les autres
ont un vélomoteur.
Et même, Mireille Gorse a une
voiture. Elle a dix-huit ans,
Mireille Gorse. Ses parents lui
ont offert une voiture pour la
consoler d’être en retard dans
ses classes. Elle épate tout le
monde dans sa Citroën Ami 6. La
Citroën Ami 6 a un toit qui se
prolonge à l’arrière. Ça donne
une vitre d’un genre spécial.
Très original. Ma mère n’a
qu’une deux chevaux mais
Mireille Gorse a une Citroën Ami
6. Alors moi, je peux bien avoir
un vélomoteur. Pour me
récompenser d’être en avance
dans mes classes.
Quand je suis à bicyclette sur
le chemin du lycée, Mariette
Thièbe me dépasse sur son
vélomoteur. On voit bien qu’elle
n’est pas aux Scouts ! Elle n’a
pas appris la solidarité. Sinon,
elle me dirait de m’accrocher à
son épaule et elle me tirerait.
Le 19 décembre, Bernadette
Charrette ne vient pas en
classe. On se dit qu’elle a
peut-être une angine. Ou une
indigestion si elle a pris de
l’avance avec les chocolats.
Mais on apprend bientôt qu’elle
est à l’hôpital. Elle a été
renversée par une voiture. Alors
qu’elle traversait à pied.
Bernadette Charrette est en
danger et toute la classe en
émoi.
Nous lui apportons des chocolats
et des fleurs. Elle a trop mal
pour manger les chocolats. Les
fleurs, c’est mauvais pour la
respiration. On nous demande de
les mettre à la chapelle de
l’hôpital.
Heureusement que Bernadette
Charrette était à pied. Si elle
avait été à vélomoteur, mes
parents auraient dit que c’était
là un moyen de transport
dangereux. Et je n’aurais pas eu
de vélomoteur pour Noël.
Ma mère dit : « Si Bernadette
Charrette a eu un accident alors
qu’elle était à pied, à combien
plus forte raison as-tu des
chances d’en avoir un, si tu es
à vélomoteur ! » C’est le
raisonnement a fortiori dont
nous a parlé le professeur de
français. Elle a dit qu’il
caractérisait les tempéraments
passionnés. Ainsi, ma mère est
une passionnée. C’est bien ma
chance !
J’en veux à Bernadette
Charrette. Je suis contente de
mettre mes fleurs à la chapelle
plutôt que de les voir orner sa
chambre. Mais Jésus mérite-t-il
davantage des fleurs, lui qui
m’a privé de vélomoteur le jour
de son anniversaire ?
Pour Noël, je reçois un sac à
main. C’est bien ma chance ! Que
veut-on que j’en fasse ? J’ai le
genre sport : je porte un survêt
et des baskets. Plus un sac de
gym. J’aurais l’air de quoi avec
un sac à main ?
–Justement, c’est pour changer,
me dit ma mère. A quatorze ans,
une fille doit apprendre
l’élégance.
Je trouve que ma mère pourrait
apprendre l’élégance dans le
choix de ses cadeaux.
Bernadette Charrette est sauvée.
C’est plus difficile de lui
pardonner que si elle était
morte.
Renée-Lise Jonin
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