Il était
triste. Triste à en pleurer ? A
en mourir ? A raconter sa vie ?
A écrire des poèmes ? Il était
triste, en somme.
Il a attendu un peu. Qu’une
pluie de lune clapote à sa
fenêtre ? Qu’il entende –il ne
savait où– l’éclat de rire d’un
rêve qui s’éveille ? Que
quelqu’un lui dise qu’il l’aime
? Homme ou femme, peu importe.
Pourvu qu’il le lui dise. Pourvu
que ce soit vrai.
Il a ouvert un livre. Allait-il
lire une histoire qui chasserait
la tristesse ? Il a regardé
l’horloge. Peut-être l’heure
allait-elle sonner ? La
tristesse s’en irait. Il a
attendu que le facteur lance
chez lui, comme un ballon, une
bonne nouvelle. Peut-être la
naissance d’un être cher.
Pourquoi annoncerait-on le
mariage d’un être cher ? Ou la
mort d’un être cher ? Et pas sa
naissance ? La nouvelle serait :
il vous vient un être cher. Non
pas un être à chérir. Mais un
être déjà cher dans une vie
antérieure.
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Et si on lui
apportait, habillée de neuf, une
ancienne nouvelle ? Qu’il a réussi au
bac ? Qu’il est venu au monde ? Et si on
lui annonçait quelque chose qui ne
l’étonnerait qu’à moitié ? Par exemple,
que sa mère est ressuscitée ? Et si… ?
Pendant qu’il égrène ses si, il lui
vient à l’idée d’écouter le bruit de sa
tristesse. Il colle son oreille à la
porte de son cœur. Il entend des tas,
des tas de choses. Mais aucune
tristesse. S’en serait-elle allée ?
Pourtant l’heure n’a pas sonné. Le
facteur n’est pas passé. Sa mère n’est
pas ressuscitée…
Il appelle… La tristesse ne répond pas.
Tout à l’heure son cœur avait le blues.
Maintenant il l’a rouge vif. La
tristesse serait donc partie… Mais où
donc ? Où va la tristesse quand elle
s’en va ?
Elle est peut-être allée habiter chez
quelqu’un qui avait envie d’être triste.
Car il saurait faire pousser sur sa
tristesse des plantes rares ?
Triste triste était mon âme à cause à
cause d’une femme…
Sa tristesse est-elle partie dans l’âme
d’un Verlaine ? C’est une bonne idée
qu’elle a eue. Elle a fait des heureux.
Sa tristesse est-elle allée se
recueillir à une cérémonie d’enterrement
dans la poitrine des endeuillés ? C’est
faire grand cas d’elle. En avait-il
assez pour cela ? S’est-elle installée
dans le cœur d’un vieillard sur le point
de mourir et qui n’en avait pas envie ?
Est-elle allée habiter un fantôme qui
claquait des dents dans la nuit ?
Si sa tristesse allait sur un lac au
soir tombé ? Dans un ciel en manque de
bienheureux ? Dans un supermarché
dépourvu d’acheteurs ? Dans une église
vide, une école trop pleine ? Si elle
disparaissait ? Se noyait dans le lac ?
Dans l’immensité du ciel se perdait ?
Qu’à l’église elle tombe sans le
bénitier ? Qu’à l’école elle s’installe
dans la tête des cancres ?
La tristesse peut-elle rester seule ? Ou
même dans un lac va-t-elle rendre l’eau
triste ? Elle a besoin de nicher quelque
part et de se communiquer. La tristesse
est dans les saules qui pleurent au bord
de l’eau et au cœur des chœurs de
moustiques qui n’ont personne à piquer.
Et si sa tristesse était allée là où
elle est de trop ? Où on ne l’attendait
pas ? Si elle s’était trompée ? Voilà
qu’elle fait sangloter un jeune couple
devant leur nouveau-né. Et la mariée au
bras de son marié. La bachelière devant
sa mention bien. L’évadé d’un enfer
quelconque retrouve sa famille, voilà
qu’il se met à pleurer. Non pas de joie
mais de tristesse et sans savoir
pourquoi.
Devant l’envol de sa tristesse, il faut
qu’il réagisse. Il décide de partir à
son tour. De partir la chercher. Il bat
la campagne avec une meute de chiens. Il
alerte la police et un détective privé.
Il convoque les chercheurs de CNRS qui
remplissent des pages de calculs et font
fumer leur cerveau.
Voilà qu’au milieu des vapeurs
d’intellect, un murmure lui parvient :
Tu ne me chercherais pas si tu ne
m’avais déjà trouvée, lui disent Dieu et
sa tristesse. Tristesse l’aurais-tu
suivi ? L’as-tu jamais quitté ? As-tu
seulement fait semblant de partir, à pas
inaudibles et pressés, vers un meilleur
endroit à peupler ? Il se regarde de la
tête aux pieds et dans ses tripes et
dans son âme. Il voudrait bien,
tristesse, te saluer, mais tu fais
semblant de ne pas le voir. Tu souris de
ton air mi- narquois, mi- gentil, de ton
air d’ami, de chien apprivoisé.
Renée-Lise Jonin